Conférence de M. Mike Pondsmith

Lors du salon ISC de l'Imaginaire (8-9-10 mars 2002), dans le cadre de l'animation de l'espace jeux de rôles, nous avons invité M. Mike Pondsmith. Voici la retranscription de la conférence qu'il a donné à cette occasion :

Mike Pondsmith : J'ai débuté ma carrière dans le jeu vidéo. Je travaillais pour une société appelée « California Pacific ». Plus tard, j'ai fondé ma propre entreprise de jeu de rôles : « R.Talsorian Games ». Il y a eu au moyen quatre tentatives différentes d'adaptation de Cyberpunk en jeu vidéo. Après avoir vu les résultats de ces différentes tentatives, je me suis dit qu'il valait peut-être mieux que j'essaie moi-même. Il y a deux ans, j'ai été contacté par Microsoft pour développer un jeu Cyberpunk sur X- box, et j'ai accepté.

Je développe des jeux de rôles papiers depuis dix ans, je dois avoir une dizaine de systèmes à mon actif. Les jeux de rôles peuvent se comparer à un roman, les jeux PC à un poème et les jeux consoles à un haïku.

Dans tous les cas, il s'agit de délivrer une expérience de jeu. Réaliser un jeu vidéo, c'est comme maîtriser pour des centaines de milliers de joueurs. Lorsqu'on développe un jeu sur ordinateur, il faut toujours se demander quelle est l'attente du joueur, pourquoi il aimera ce jeu. Ca peut être quelque chose de très simple : Mon jeu favori c'est House of the Dead, parce que j'aime bien tirer sur des zombies. C'est le même genre de question qu'il faut se poser quand on maîtrise une partie, même si dans ce cas la réponse est immédiate : le joueur est en face. La question est toujours : A quelle condition le joueur est-il prêt à investir plus (de temps, d'argent, etc.) dans le jeu ? Vous avez moins de temps et d'espace dans un jeu vidéo pour accrocher le joueur. Je pense que l'expérience que ceci m'a apporté peut être appliquée au jeu de rôles. En effet, le jeu de rôles doit s'adapter aux évolutions de son public. Avant de commencer une partie de jeu de rôles, vous devez lire un livre de 200 pages. Or, pour citer le président de TSR : « Personne n'apprend à jouer à Donjons & Dragons en lisant le livre de règles ». Par contre, si vous achetez un jeu vidéo, vous pouvez commencer à jouer immédiatement. Et une partie de jeu de cartes dure 5 minutes, beaucoup moins qu'une partie de jeu de rôles. Les jeux de rôles vont donc évoluer vers des jeux auxquels on peut jouer plus vite, moins indigestes. Ainsi dans Cyberpunk 2030 X, beaucoup de choses sont automatiques, il n'est pas nécessaire de lire toutes les règles avant de commencer à jouer, et l'entrée en matière est plus rapide. Ainsi le maître de jeu peut passer moins de temps à préparer ses parties, et plus profiter du jeu. Ce n'est plus quelqu'un qui passe énormément de temps à préparer alors que les joueurs n'ont pas grand-chose à faire.

GKJdR : Comment envisagez-vous cela de manière pratique ?

Mike Pondsmith : Faisons une comparaison avec le jeu vidéo : dans le jeu que je développe actuellement, il y a des véhicules. Je ne travaille pas en C++ à coder les différents véhicules. Quelqu'un les a déjà programmés pour moi, je n'ai plus qu'à décider où et quand ils doivent apparaître, à les piocher dans ma « boîte à outils » et à les placer. Les « outils » dont je vous parle pour le jeu de rôles sont l'équivalent de ces objets C++. Plutôt que d'avoir à écrire tout le donjon de bout en bout, le maître de jeu n'aurait qu'à placer des méchants tout faits à l'endroit qu'il désire.

Ainsi, le maître de jeu peut s'abstraire des détails techniques et se concentrer sur l'âme du jeu. C'est cela qui est important : trouver l'élément central du jeu. D'après vous, par exemple, quel est l'élément moteur de Cyberpunk ? Pourquoi ce jeu a-t-il autant de succès ?

(plusieurs voix) : La technologie ?

Mike Pondsmith : Non, je ne pense pas que la technologie soit au coeur de Cyberpunk. Il y a un élément plus particulier à Cyberpunk.

(quelqu'un) : Le style ?

Mike Pondsmith : Vous y êtes presque. En fait, Cyberpunk est un jeu sur le fait d'être cool. ('Cyberpunk is about being cool'). C'est cool d'avoir plein de technologie sur soit, c'est cool d'avoir des armes puissantes et de pouvoir se balader dans la rue avec tout ça. C'est la même chose avec Matrix: l'important dans ce film n'est pas la matrice, mais le style.

Pour d'autres jeu, le principe est différent. Ainsi, l'important dans Castle Falkenstein est le panache: les personnnages sont amenés à accomplir des actions héroïques, voire même à se sacrifier pour une noble cause.

Là réside le but de l'évolution que je souhaite. Aider le maître de jeu, diminuer les temps d'attente permet de se concentrer sur l'esssentiel.

Au début, les jeux PC étaient primaires. Aujourd'hui, ils sont meilleurs que des jeux de rôles moyens. Counter-Strike ou Final Fantasy sont de bons exemples de cette fantastique évolution du jeu vidéo. Le seul avantage des jeux de rôles aujourd'hui, c'est qu'ils permettent une approche plus personnelle.

GKJdR : Que pensez-vous des tentatives de réalité virtuelle ?

Mike Pondsmith : Les jeux PC vous permettent de faire des choses qu'il vous est matériellement impossible de réaliser. Vous ne pouvez pas normalement être Tony Hawk, par exemple. Vous avez la possibilité dans un jeu électronique de faire ce que vous ne pouvez pas faire, d'être quelqu'un que vous n'êtes pas. La réalité virtuelle vous permet quant à elle d'être ailleurs, mais tout en restant vous-même. C'est avec les jeux de conduite que ce principe fonctionne le mieux, ou avec des jeux comme Dance Dance Revolution. Mais jouer à ce jeu ne nécessite pas de savoir danser, c'est juste une question de timing.

Nous avons pris du retard dans le développement de la 3ème édition de Cyberpunk, à cause de ce que nous appelons 'La malédiction de Talsorian'. Le problème avec un jeu d'anticipation est que l'on ne peut pas prédire le futur. Alors, pour déterminer les évolutions du monde, nous nous demandons souvent : « Quelle est la chose la plus stupide que nous pourrions imaginer ? ». Et quelquefois ça se produit réellement... Nous avions ainsi 'prédit' la chute du mur de Berlin et l'invasion du Panama. Il y a un an, nous avions ainsi imaginé la fin de Night City, avec un duel mettant en scène Morgan Blackhand, une bombe nucléaire placée un l'intérieur de la ville... Le livre s'ouvrait sur l'explosion de deux buildings, dans les cris et les flammes, etc. Aujourd'hui, il faut complètement revoir cette partie : plus personne ne trouve ce genre de descriptions drôles, pas moi en tout cas. C'est en partie ce qui explique le retard.

Le retard s'explique aussi par notre désir d'intégrer plus d'outils destinés au maître de jeu, de façon que le jeu puisse commencer plus rapidement. Pour vous montrer l'intérêt de ces outils, prenons comme exemple la partie de Château Falkenstein que j'ai maîtrisé hier. Je ne l'avais pas du tout préparée, je savais juste que l'intensité dramatique devrait atteindre un pic à la fin du second acte, et que les joueurs découvriraient quelque chose d'étrange. Or, je savais que dans ma « boîte à outils » (en l'occurrence, le supplément technologique), il y a la description de l'intérieur d'un volcan. Le fait pour le maître de jeu de disposer de ce genre de « boîtes à outils » lui permet de se concentrer sur l'essentiel et diminue le temps de préparation.

GKJdR : Quand vous écrivez un jeu de rôles papier, vous pouvez voir les réactions des joueurs en testant votre création au fur et à mesure. Comment ça se passe pour un jeu PC ? Vous écrivez vous-même toute l'histoire ?

Mike Pondsmith : En fait, il y a quatre concepteurs qui travaillent sur le jeu. Je suis habitué à écrire toute l'histoire quand je conçois des jeux de rôles. Pour un jeu vidéo, les choses se passent différemment. Mon rôle se rapproche de celui d'un metteur en scène, d'un Steven Spielberg. Je dois imaginer le joueur, qui il est, ce qu'il aime. Quand vous êtes concepteur de jeu vidéo, vous devez imaginer quelque chose qui plaît aux gens qui vous ressemblent, mais aussi aux autres. Le public japonais, par exemple, n'a pas du tout les mêmes attentes que le public américain. S'adapter aux goûts du public n'est pas toujours évident, tant ils peuvent être variés. La tâche est assez aisée pour les jeux de combat. Pour les jeux de conduite, ça n'est pas aussi évident car tout le monde n'a pas la même conception de ce qu'est un véhicule cool. La seule chose qui rassemble les amateurs du genre, c'est le désir que ça aille très vite.

Pour en revenir à Cyberpunk 3, j'ai décidé de changer beaucoup de choses. Il devrait sortir vers mai-juin 2002.

Nous préparons également de nouvelles choses pour Château Falkenstein, pour en faire un jeu plus live-action, ce qui était d'ailleurs le but au départ. Il y aura des livres plus petits, de nouveaux dessins (les dessins actuels ne me satisfont pas complètement), des city books ainsi que des conseils sur la manière de jouer des gentleman et ladies d'époque. Le but est de créer un jeu dans lequel vous pouvez être impliqués sans une grande préparation.

Nous avons obtenu la licence Gundam. Au Japon elle a eu énormément de succès. Nous comptons l'adapter aux Etats-Unis et dans d'autres pays. Il y a 16 ans, je lisais ce manga en me disant que ce ça pourrait faire un bon jeu.

GKJdR : Qu'en est il de Dragon Ball RPG ?

Mike Pondsmith : Nous sommes en train d'écrire la saga de Cell, ainsi que celle des cyborgs et de Boo. Un supplément sur la série originale DB est également en préparation.

Pour la GenCon, je prépare également une synthèse de ce dont je vous ai parlé. (peut-être un livre).

GKJdR : Que pensez-vous du système Coliseo ? C'est un univers internet, un peu comme Everquest, dans lequel chaque personne fait un site Internet pour développer la ville. Pensez-vous que ce soit une bonne idée ?

Mike Pondsmith : Je ne connais pas personnellement ce système. Ca ressemble beaucoup à du jeu de rôles papier, transposé sur ordinateur. L'investissement est temps nécessaire est important. Le plus grand problème d'Everquest, c'est que beaucoup de gens faisaient des communautés plus pour leur intérêt que pour construire la ville.

GKJdR : Pensez-vous que combiner online et offline soit une chose intéressante ?

Mike Pondsmith : Nous y travaillons chez Microsoft.

GKJdR : Que pensez-vous du système D20 ?

Mike Pondsmith : Il ressemble trop au vieux système. Il est trop proche de son univers, la fantasy. Beaucoup d'adaptations du système D20 pour Cyberpunk m'ont été proposées, mais aucune ne m'a jamais convaincu.

GKJdR : En France, beaucoup craignent que le succès des jeux vidéos nuise au jeu de rôles papier, et que le nombre de rôlistes diminue. Qu'en pensez-vous ?

Mike Pondsmith : Je pense qu'actuellement nous jouons au jeux de rôles de la même manière que les gens le faisaient il y a 25 ans. Souvenez-vous des jeux de combat avec figurines : vous devez peindre les figurines, puis vous reporter à la fiche de la figurine quand vous la bougez... Tout cela représente beaucoup de temps. Et un jour quelqu'un a eu l'idée de les vendre déjà peintes et de marquer les caractéristiques sur le socle. Ca a donné Mage Knight qui est un succès aujourd'hui! C'est la même chose pour les jeux de rôles et les jeux de cartes : les seconds se jouent plus vite, avec moins de préparation et moins de joueurs. Il n'est donc pas étonnant qu'ils rencontrent plus de succès. Un livre de règles fait entre 60 et 200 pages. Si j'ai 40$ à investir dans un jeu, j'ai le choix entre acheter un jeu vidéo auquel je pourrais jouer immédiatement et acheter un livre de règles que je devrais d'abord lire avant de commencer à jouer, sans compter qu'il me faudra réunir les joueurs. A mon avis, aujourd'hui, le meilleur investissement en termes de temps de jeu effectif n'est pas le jeu de rôles.

GKJdR : Quel est votre jeu favori, parmi ceux que vous avez créé ?

Mike Pondsmith : Celui auquel je suis le plus attaché sentimentalement est Mekton Zeta.

GKJdR : Avez-vous déjà été contacté par un producteur de films pour réaliser une adaptation au cinéma de Cyberpunk ?

Mike Pondsmith : Tous les deux ans, quelqu'un achète les droits et ne réalise pas de film. Mais nous gardons l'argent. Et comme ça arrive souvent, ça nous fait beaucoup d'argent! Vous savez, il est rare qu'un jeu de rôles soit adapté au cinéma, parce que les jeux ne sont pas très connus.

GKJdR : Quel est votre Anime favori ?

Mike Pondsmith : J'aime beaucoup Gundam Z et Gundam double Z, ainsi que Blue Submarine 6. Je regarde aussi avec plaisir Cowboy Beebop, Trigun et Lamu. Je suis un peu lassé de Dragon Ball à force de travailler dessus.

GKJdR : Que pensez-vous de la production française ?

Mike Pondsmith : Ce qui se fait en jeu de rôles en France est bien. Je pense que les productions les plus intéressantes aujourd'hui viennent de France et du Brésil.